Cyril Blin de Belin
Fondateur du label en gestion de marques Tropismes
© Photo Claire Boucl, artiste végétale
Décrypter l’air du temps
pour mieux comprendre ses clients
et permettre aux marques
de développer leur charisme
C’est le métier de Cyril Blin de Belin, qui part du principe que “s’intéresser aux consommateurs avec la seule perspective de leur vendre des produits ou des services, n’est plus une démarche suffisante pour les marques compétitives”. Une expertise qui méritait d’être largement relayée ici ! Rencontre avec une personnalité qui sait faire rimer communication, innovation et poésie.
Bonjour Cyril, peux-tu nous expliquer ton métier
et ton parcours pour en arriver à ce que tu fais aujourd’hui ?
“Après un master de communication à l’Université Paris XIII, j’ai travaillé 6 ans au service planning stratégique d’agences de publicité. Si la curiosité motive cette formation hybride, la démarche de ce poste est également de croiser les regards : analyse des cibles, décryptage des tendances et des marchés, veille des bonnes pratiques marketing et communication.
Au croisement de l’observation et de la stratégie, le planning stratégique consiste à rechercher des insights. Derrière cet anglicisme, il s’agit concrètement de discernement pour mettre le doigt sur une vérité consommateur qui va développer l’inspiration des chefs de projet et des créatifs.
Qu’est ce qui dans le vécu de mes clients peut lever un blocage dans leur consommation, révéler un dilemme irrésolu ou encore faire écho à leurs aspirations profondes, afin de créer un message juste qui va résonner en eux ?
Le filtre est bien sûr d’être pertinent au regard de l’ADN de la marque et différenciant vis-à-vis de sa concurrence. Un exemple bien connu par tous est celui de Total. Des études consommateurs sur le rapport aux stations services révélaient que ce n’était pas le conducteur qui choisissait véritablement l’enseigne, mais sa voiture !
Quand le voyant de la jauge à essence s’allumait, le conducteur s’arrêtait tout simplement à la première station sur son chemin. Un constat qui a permis d’initier à l’époque la signature de la marque “Vous ne viendrez plus chez nous par hasard”. Une promesse forte pour favoriser la préférence en s’engageant à innover, notamment sur des services.
A la suite d’interventions pour des clients comme Boucheron, Nivea, le Club des Créateurs de Beauté mais aussi Madrange ou Cadbury, j’ai souhaité approfondir mon expertise en reprenant des études en sociologie, tout en créant ma propre structure en 2007.
Il existe des instituts d’études consommateurs, des bureaux de tendances, des cabinets en stratégie de marque et d’innovation et des agences de communication. Mon envie était de décloisonner ces différents métiers complémentaires pour réduire l’écart entre la réflexion stratégique et l’imagination créative.
J’avais une idée simple à proposer, derrière un processus complexe : dans un environnement de consommation ultra-concurrentielle, qu’est ce qui peut
révéler et développer
le rayonnement de la marque
pour faire tourner la tête des gens
… et activer son magnétisme à chaque point de contact avec ses consommateurs ?
Ceci explique le terme Tropismes, nom de mon label, que j’ai emprunté au vocabulaire biologique pour rappeler le phénomène d’orientation du tournesol vers le soleil.
Je suis en quelque sorte «consul’temps», aidé par un planneur stratégique junior et un profil de consultant plus pragmatique, qui gère avec moi la recherche et la gestion des clients en coordonnant un réseau d’experts activables sur certaines de nos missions.
Sur quels types de problématiques et de clients interviens-tu ?
Même si mes affinités vont vers les marques d’expression personnelle (mode, beauté et art de vivre), j’interviens sur tout type de secteur pour le compte d’agences de communication, de marques renommées et d’entrepreneurs.
Ainsi les problématiques peuvent être très en amont sur l’étude des cibles et des tendances, l’analyse de marché et l’audit de marque. Je peux intervenir également comme consultant senior lors de workshops d’experts, ou auprès d’entrepreneurs pour générer des concepts d’innovation ou de communication, avec un déploiement stratégique et opérationnel adapté à l’écosystème de leur marque.
Comment décryptes-tu l’air du temps ?
A quoi ça sert concrètement ?
La base de la prospective reste la curiosité et l’exigence. Si s’informer est une bonne hygiène quotidienne, comme suivre l’actualité et faire de la veille sectorielle, il faut savoir aller plus loin.
Etre critique,
s’extraire de l’écume
de l’actualité
et des épiphénomènes
Chercher des sources d’informations alternatives, rencontrer des experts et savoir créer des recoupements d’un secteur à un autre, d’un fait économique à une façon de consommer émergente.
On appelle ce principe la transversalité, c’est-à-dire envisager les choses sans frontière pour appréhender une dynamique de changement que l’on va qualifier à partir de «signaux faibles» éparpillés.
Penses-tu que tout le monde soit capable de cette réflexion prospective ?
Est-ce une prédisposition au départ, un talent, une forme d’intelligence intuitive ?
Il y a des prédispositions qui se professionnalisent par le travail, les rencontres et les chemins de vie comme quelqu’un qui a la plume facile, l’oreille musicale ou la bosse des maths. Une collègue me racontait qu’enfant, elle découpait les images dans les magazines. Moi je faisais les antiquaires et les vides greniers avec mon père.
Ces balades n’étaient pas orientées futur, bien au contraire, mais j’observais l’archéologie de la consommation et l’évolution des styles de vie, le rapport des personnes aux objets. Mon caractère réservé me conduisait aussi plus à l’imagination, à l’analyse et à être attentif aux détails.
C’est notre singularité
qui nourrit notre
vision des choses
A mon sens l’empathie, l’intuition sont aussi importants que l’esprit critique et le goût de l’investigation avec une bonne dose d’humilité car il ne s’agit pas d’être visionnaire, savant ou même artiste. Si l’imagination est au pouvoir, la démarche est stratégique.
Au delà de flâner et d’être chercheur en tout, décrypter l’air du temps permet de repérer aujourd’hui les mutations susceptibles d’animer demain l’existence des consommateurs. Il s’agit autant de rendre limpide le chaos du changement socioculturel qui s’opère, que de mettre en relief les enjeux marketing sur une problématique.
Au final, il reste de concevoir un produit, service ou message juste, en phase avec le mode de vie des consommateurs et des tendances socioculturelles profondes.
Tu défends l’idée du “développement désirable” pour redonner du sens au plaisir de consommer. Peux-tu nous en dire davantage ?
J’avais proposé cette expression en 2006. A l’époque on commençait discrètement à parler de «développement durable» dans les médias. Avant de concerner tout un chacun par des petits actes quotidiens, l’écologie était une préoccupation d’initiés et de militants dont les ressorts étaient la moralisation, l’intégrisme ou la croyance.
La consommation se résumait aux boutiques de La Vie Claire avec des produits austères et parfois ésotériques comme les lampes à sel. Concerné par cet enjeu planétaire, j’ai rencontré différents acteurs du mouvement et des entrepreneurs qui émergeaient dans la mode et la cosmétique : Veja, Doux me et Canzi.
Loin des des crèmes bio tue-l’amour et des pulls éthiques qui piquent, le bio’glamour et l’écolo’chic me paraissaient une voix porteuse pour que les préceptes du développement durable percent dans la consommation traditionnelle.
« Mieux qu’une croissance pour tous, tout en assurant la préservation des ressources pour les générations futures » qui résume la définition du développement durable, l’idée du développement désirable était de redonner du sens au plaisir de consommer en conjuguant le biologiquement et l’équitablement correct à l’infiniment agréable.
Le quotidien est suffisamment morose pour vivre comme un ascète, néanmoins la consom’action rappelle aux marques qui suivent un filon opportuniste, l’éveil des consciences de consommateurs toujours moins crédules.
Les rayons saturés de “green”, les labels fantaisistes et les ingrédients bio, certes, mais provenant de l’autre bout de la planète, m’ont donné envie de poursuivre l’investigation sur le principe du «slow food» proposé par Carlo Pietrini, l’initiateur de ce mouvement éco-gastronomique, en opposition au «fast» de l’industrie de la food ou de la beauté.
Une réflexion sur l’artisanat,
le local, la tradition
et le savoir-faire qui inspire
aujourd’hui les maisons de luxe
comme par exemple Ferragamo qui développent des sacs en tannage végétal.
Tu places le développement personnel des cibles au coeur de la réflexion stratégique et créative des marques. Quels conseils pourrais-tu donner aux petites entreprises pour développer leur charisme, et innover en marketing et communication ?
Je leur dirais de «lever la tête» un instant de leurs préoccupations et missions quotidiennes pour songer tout simplement à qui s’adressent tous ces efforts. À chercher comment émerger et se développer, on oublie parfois que c’est pour nos clients que l’on travaille.
Avoir la curiosité de mieux connaître les personnes derrière sa cible, en ayant de l’empathie et du discernement, conduit naturellement à vouloir satisfaire et surprendre des individus qui existent vraiment, pas l’idée que l’on s’en fait.
Découvrir leur mode de vie et de consommation, échanger avec eux sans avoir quelque chose à leur vendre, permet de se projeter dans d’autres réalités que celles de sa propre vie quotidienne.
Cette remise en question est une démarche simple mais inspirante pour imaginer avec lucidité comment leur parler, créer la conversation et innover. Quelle type de relation établir et quelle valeur ajoutée développer dans mes produits ou services, que personne d’autre mieux que moi peut leur proposer ?
Se demander comment susciter
considération, désir et attachement
et non pas comment améliorer
ses ventes, ça change tout !
Quand la saturation des marchés oblige à la différence et que l’exigence d’une nouvelle génération de consom’acteurs suppose davantage de pertinence, devenir profitable pour l’existence du consommateur et le monde qui l’entoure est une posture compétitive pour favoriser le rayonnement de sa marque”.
En savoir +
www.tropismes.net
Merci à Cyril pour sa vision éclairée sur le devenir des marques, et des entreprises de façon globale. Pour ma part, le blog va prendre ses quartiers d’été pour voguer quelques semaines vers des horizons ressourçants. Afin de continuer vos réflexions personnelles et professionnelles, je vous invite à (re)lire mes interviews d’experts sur le développement d’identité et de marque :
Etre soi sur le marché du travail
Pierre Denier – recruteur
“Non, on n’a pas besoin de rentrer dans un moule
pour “plaire” à une entreprise !
Il est temps de créer la rupture !”
Réactiver l’enthousiasme en entreprise
Bernard Fagot – consultant et formateur en enthousiasme
“Faites de votre passion votre profession,
et acceptez de prendre le risque de perdre
tout ce qui ne vous va pas pour laisser s’exprimer la joie”
(Ré)enchanter ses clients
Carole-Eve Spina-Couturier – responsable formation chez Louis Vuitton
“Le luxe, c’est une façon d’aimer les gens,
de leur raconter une histoire, de mettre en scène
des émotions pour les faire se sentir uniques, entendus, compris”
Rendez votre entreprise inimitable
Elise Le Pallabre – créatrice de la marque de cosmétiques Terrasens
“Le travail fait ensemble me permet de resserrer
mon attention sur l’essentiel : partager ma philosophie de beauté
et de bien-être à travers des produits d’exception”
Montrez-moi votre sac à mains… je vous dirais qui vous êtes !
Stéphanie Davy – formatrice en communication non-verbale
“Ce qui compte aujourd’hui, c’est d’avoir conscience
qu’on ne vend plus seulement un produit :
on vend un univers, un style de vie, un état d’esprit”
Le luxe d’être Garance Doré
Garance Doré – blogueuse, photographe et illustratrice mode
“Ce qui marche, ce n’est pas de faire comme les autres,
c’est de faire ce qui n’a jamais été fait,
simplement parce que c’est vous”
Réussir sa vie Vs réussir dans la vie
Stéphanie Will – fondatrice de l’agence d’assistants d’élite SW&Vous
“Il ne faut pas avoir peur du labeur.
J’ai changé de vie plusieurs fois, je me suis souvent trompée,
mais j’ai toujours recommencé”
Merci pour votre fidélité. Et n’oubliez pas :
“Les idées ne sont pas faites pour être pensées… mais vécues” (Malraux).
Je vous souhaite un bel été.
11 réponses
Merci à tous les deux pour cet article enrichissant.
Voilà qui donne envie d’être en accord avec soi-même et de foncer!
Au plaisir de lire autant d’authenticitéS!
Bon mois d’août
Merci Natalia pour votre passage ici, à bientôt pour d’autres authenticitéS !